Archives de Tag: japon

Premières lignes… #260

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Nouveau dimanche, nouvelle découverte ! Je continue le rendez-vous que j’ai trouvé chez Book & share, et inauguré par le blog Ma Lecturothèque 🙂 Le principe de ce post est de prendre un livre chaque semaine pour vous en citer les premières lignes.

La lumière blanche d’un jour terne filtrait par la porte entrebâillée. L’ouverture ne permettait d’entrevoir que le tatami immaculé et l’angle du futon. La paroi de papier qui constituait le shoji ne laissait, elle, distinguer que quelques silhouettes semblables à celles des théâtres d’ombres.
L’adolescente, recroquevillée sur elle-même, approcha la tête de l’ouverture le plus discrètement possible. Elle retint sa chevelure d’une main avant que celle-ci ne touche le sol, craignant que le bruissement ne suffise, dans le silence, à trahir sa présence. L’espace n’était toutefois pas suffisant pour qu’elle perçoive grand-chose de la chambre. Cette dernière, située au troisième étage du donjon, était aussi vaste que se devait de l’être celle de l’héritier de l’illustre famille. Yuki recula un peu et se tordit à demi le cou en essayant de trouver un angle plus propice, jusqu’à ce que son regard tombe sur la main de son frère.
Elle était immobile, dans sa blancheur, simplement posée sur le futon. Elle aurait pu se confondre dans les draps blancs tant elle était pâle. La longueur et la finesse des doigts, la minceur du poignet, tout évoquait une féminité et une fragilité qui auraient pu paraître déplacées chez un garçon, mais qui lui avaient conféré au contraire une aura de pureté et de noblesse.
La main autrefois pleine de vie n’avait plus que la peau sur les os. Ses doigts décharnés rappelèrent à Yuki les brindilles qu’elle s’amusait à briser dans un bruit sec lorsqu’elle était plus jeune. Elle s’imagina un court instant qu’il s’agissait des doigts de son frère. Crac.
Un froissement de tissu attira l’attention de l’adolescente, la faisant sursauter. Elle recula instinctivement, se cachant de l’autre côté de la porte, attendant avec anxiété que quelqu’un vienne la déloger. Le kimono de sa mère ou du guérisseur, glissant sur les tatamis, était certainement à l’origine du bruit. Yuki crut distinguer un bout de tissu blanc par terre, blanc comme la couleur des vêtements funéraires. Elle entendit un soupir puis une voix féminine et lasse s’éleva :
– Est-ce qu’il vivra ?

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Un peu de poésie pour enfants : Aimer

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Bien le samedi bande de poésies, nouveau bonjour et nouveaux gens ! On se retrouve à nouveau pour une petite poésie – profitez-en, parce qu’après j’ai lu plein de BD et elles vont nous occuper pour plusieurs articles 😀 Comme dans beaucoup de bibliothèques de France, j’ai eu l’occasion de faire quelques recherches pour le Printemps de Poètes. Le thème de cette année étant les frontières, je me suis concentrée sur la poésie de pays autres que la France. Et comme on ne connaît de la poésie japonaise que les haïkus et des poètes masculins, et que j’ai l’esprit de contradiction, j’ai donc cherché une poétesse japonaise qui a écrit des vers libres 😛

Après quelques tâtonnements sur Google, j’ai fini par découvrir Misuzu Kaneko, née en 1903 et morte en 1930, spécialisée dans la poésie pour enfants. Comme beaucoup malheureusement, elle n’a pas connu le succès de son vivant ; néanmoins, les poèmes et comptines qu’elle avait pu publier via des magazines pour enfants étaient déjà très appréciés pour leur douceur. Sa vie n’a pas été aussi heureuse : elle avait commencé à écrire et à publier, tout en prenant part au commerce familial (une librairie, le rêve), mais son mari (choisi par son oncle) lui impose d’arrêter l’écriture. Ce charmant compagnon de vie ne s’arrête pas en si bon chemin, la trompe et lui transmet une MST ; lorsque Kaneko obtient enfin le divorce, ce n’est que pour comprendre qu’elle va perdre la garde de sa fille. N’ayant plus aucun recours, elle finit par se donner la mort à 27 ans, la veille du jour où elle aurait dû remettre sa fille à son ex-mari. L’enfant sera finalement élevée par sa grand-mère. Ses poèmes ne sont redécouverts que bien plus tard, inscrivant leur auteure dans la postérité, et ce dans 11 langues différentes.

Le poème que je vous ai choisi a été traduit par Brigitte Allioux, et mis en ligne par Jacqueline Salmon. Il y avait beaucoup d’autres poésies de Misuzu Kaneko sur le site en question, donc je vous encourage vraiment à y faire un tour si jamais ça vous intéresse 🙂

je voudrais aimer
tout absolument tout

les poireaux, les tomates, le poisson aussi
tout pouvoir aimer, sans rien laisser

tout ce que cuisine maman
tous les petits plats qu’elle prépare

je voudrais aimer
tout le monde, et celui-ci, et celui-là

le médecin tout comme le corbeau noir
je voudrais tout aimer sans rien laisser

le monde entier
tout ce que firent les dieux

Un petit poème tout simple, à la fois spontané et plein de tendresse pour tout ce qui nous entoure. Un vœu de bonheur et d’amour, tellement naturel que j’en ai presque eu la larme à l’œil. J’aime beaucoup la progression, depuis l’assiette et les plats maternels (qui n’a jamais détesté son assiette de chou-fleur ou de brocolis…) à toutes les choses de la vie comme le médecin ou le corbeau. Tout ce qui compose notre univers, Kaneko voudrait l’aimer comme toutes ces choses que sa mère lui prépare, même celles qu’elle aime moins. Et surtout il y a cette idée de ne rien laisser sur le bord de l’assiette, de goûter et profiter de tout. Aimer tout, tout le monde, y compris ce qu’elle ne connaît pas encore et qu’elle a hâte de découvrir : « et celui-ci, et celui-là » ! La note finale est émerveillée, elle confine presque à la magie, en faisant de toutes ces choses des créations divines, des petits miracles. C’est comme si on voyait le monde pour la première fois, à hauteur d’enfant, avec fascination.

Pour une fois, j’ai tenu à vous mettre le portrait de l’auteure : elle y semble à peine sortie de l’enfance, son visage a encore de très jolies rondeurs et on imagine sans peine à quel point son sourire doit être adorable. La seule information est que la photo date d’avant 1930, donc au moins un an avant sa mort. C’est terrible parce que la photo est si lumineuse !

J’ai aussi tenu à vous partager une photo de l’œuvre d’art Love de Alexander Milov. Elle est assez connue, mais je l’adore et j’adore son message : on y voit deux adultes assis dos à dos, visiblement après une dispute mouvementée ; mais à l’intérieur de chacun des deux, il y a un enfant, qui lui n’aspire qu’à la réconciliation. Pour Milov, ces enfants, qui brillent dans le noir, représentent la sincérité et la spontanéité, l’envie de se parler malgré les problèmes. Cette sculpture m’évoque la même émotion que le poème de Misuzu Kaneko : une envie, un désir simple, et un sentiment d’amour aussi naturel que de respirer. Ca semble tout petit et utopique par rapport au monde qui nous entoure, mais rien à faire, ça semble tellement évident qu’imaginer qu’on ne l’ait pas tous en nous devient inconcevable. On a envie d’embrasser le monde, encore plus si ça peut le rendre heureux à son tour.

Connaissiez-vous déjà Misuzu Kaneko ou Alexander Milov ? Est-ce que d’autres artistes vous ont fait ressentir cette émotion ? Dites-moi en commentaire, et n’hésitez pas à me conseiller d’autres œuvres, je suis toujours à l’affût 😀

Tomie

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Bien le bonjour, bande de gens, j’espère que vous allez bien ^^ C’est un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour moi : j’ai fait des crêpes, et en plus elles sont bonnes. Je les ai même fait sauter correctement, et à chaque fois ce fut un plaisir enfantin inégalé… à part peut-être par le fait de les manger 😀 Avec une dose massive de sucre, bien entendu ! Perso, je suis adepte de l’arôme fleur d’oranger, plutôt que le rhum : et vous, avec quoi vous parfumez vos crêpes ? 🙂

Nouvelle chronique littéraire ! Finissons de fêter dignement la période de Noël et du Nouvel An avec une lecture appropriée, pleine de joie et de bonheur : un bon manga d’horreur ! Sisi, ça m’fait plaisir 😀 Tomie est une série de mangas d’horreur qui a débuté en 1987. C’est la première oeuvre de Junji Ito, un auteur considéré aujourd’hui comme le maître du genre ! Comptant trois tomes à l’origine, la série est sortie en intégrale depuis. C’est une amie qui m’a prêté l’imposant volume, et je la remercie beaucoup, ça a été une super lecture ^^

Résumé : Des morceaux découpés du corps de la jeune Tomié viennent d’être découverts éparpillés dans la ville. L’école est en émois, surtout depuis que la jeune fille a refait sa réapparition comme si de rien n’était. Jusqu’à cette fameuse sortie scolaire, où toujours à aguicher les garçons et en particulier, son professeur, celle-ci tombe de la falaise. Ne sachant plus que faire l’ensemble de la classe décide de découper le corps de la jeune fille en morceaux, chacun devant en cacher un bout. Mais voilà qu’elle réapparaît de nouveau devant eux.
Qui est donc l’étrange Tomié ?

Mon avis :

J’aime beaucoup comparer les débuts d’un manga avec sa fin, surtout ceux dont c’est le premier travail du mangaka. On peut vraiment voir les évolutions du dessin, c’est toujours intéressant ^^ Et il faut bien dire que certaines planches sont vraiment effrayantes : les regards en particulier. Tomie évolue elle aussi au fil des chapitres et de ses renaissances, mais ses regards… du début à la fin, c’est un personnage très expressif et menaçant. Et oui, on est dans de l’horreur gore, donc âmes sensibles s’abstenir !

L’épaisseur de l’intégrale peut faire peur, mais l’avantage pour ceux qui n’aiment pas les grosses lectures, c’est que chaque chapitre est une histoire à part entière. Seul le premier est important, car il nous permet de découvrir la genèse du personnage et les caractéristiques de sa hantise ; les autres peuvent se lire indépendamment. Et là où c’est beau, c’est que même si chaque chapitre reprend les bases du personnage, chacun présente aussi une originalité ou introduit une nouvelle particularité.

A première vue, Tomie a tout de l’archétype de la jeune fille japonaise idéale. Bien entendu, cela cache une façade : Tomie est une séductrice à l’orgueil démesuré. Brutalement assassinée par des membres de sa classe, son corps est aussitôt démembré pour tenter de couvrir le crime. Pourtant, la jeune fille revient en classe comme si de rien n’était, plongeant les élèves masculins dans la folie. A partir de cet instant, la malédiction de Tomie ne cessera de prendre de l’ampleur, tout comme sa soif d’hommes et de domination : en effet, tout homme qui croise son chemin ne peut s’empêcher d’être fasciné par elle. Impossible de tuer la belle revenante, car même un infime morceau de son corps suffira à générer, au bout d’un certain temps, une nouvelle Tomie, aussi carnassière que celle qui lui a donné vie et celles qui naîtront en même temps qu’elle. Entre les jeunes filles qui s’efforcent de sauver les hommes qu’elles aiment et ses doubles, la lutte est féroce, car les Tomie ne supportent pas la compétition.

Bref, une lecture passionnante, où chaque nouvelle histoire révèle l’originalité et le talent d’un grand mangaka d’horreur en devenir. Tomie est un personnage fascinant, à la fois bourreau et victime, car elle provoque une telle vénération chez les hommes que ceux-ci finissent inévitablement par la tuer ; de nouvelles Tomie naissent, et l’horreur reprend, toujours plus insidieuse. Si vous êtes amateurs du genre, vous ne serez pas déçus ❤

La nuit des Yokaï // Le Pays Incroyable // Les mystères de Harris Burdick

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Bien le bonjour bande de gens, j’espère que vous allez bien ! Encore une fois, je vais vous bassiner avec mes albums jeunesse favoris ^^ J’en ai encore trois à vous montrer, trois beaux livres, trois histoires très particulières…

La Nuit des Yokaï de Romain Tasek

Jeune habitant de Tokyo aux lunettes cerclées de vert, Tanaka n’aime pas vraiment son travail. Sa véritable passion : trouver des yōkai, des esprits farceurs dont il est convaincu de la présence parmi nous. Une légende prétend que les yōkai se montrent à ceux qui souhaitent les voir lors de la « nuit de feu » : Tanaka se met alors en tête de passer cette nuit spéciale dans un temple au sommet du mont Kentoku. La porte du sanctuaire passée, exécutant les gestes traditionnels de respect que demande ce lieu de recueillement, il prononce son vœu d’apercevoir les esprits farceurs. Son souhait sera-t-il enfin exaucé ?
Tout au long de ce très chouette album, l’enfant poursuit la lecture avec la possibilité de poser sur son nez les mêmes lunettes vertes que porte le héros. Rattaché au livre par un ruban rouge, l’accessoire « magique » a la particularité d’avoir des verres rouges, petite subtilité qui permet de faire ressortir les yōkai cachés tout au long des pages. Les verres des lunettes de Tanaka étant transparents, il passe malheureusement à côté des esprits farceurs pourtant proches de lui… mais comme ces derniers sont visibles pour le lecteur, cela apporte une touche rigolote au scénario. Le lecteur possède ainsi une clé qui manque à ce pauvre Tanaka.
En plus d’être une histoire originale, La nuit des yōkai nous plonge dans un folklore japonais peuplé de créatures étranges comme le Kasa-Obake, un yōkai cyclope en forme de parapluie. Avec une prédominance de couleurs primaires contrastées, les illustrations s’étalent sur de belles doubles-pages, l’auteur-illustrateur maîtrisant autant les ambiances de Tokyo chargées de détails que la mise en scène de décors plus minimalistes. Cette aventure nipponne est une jolie réussite qui mérite le détour !  

Fan du Japon devant l’éternel, et surtout de son folklore, j’ai sauté sur cet album dès que je l’ai vu ! L’histoire est celle d’un jeune garçon qui veut à tout prix voir des yokai, des esprits et entités fantastiques japonais ; ni bons ni mauvais, leurs apparences sont des plus farfelues et il vaut mieux les connaître et savoir comment les aborder. Dans un livre pour enfant, ce soucis transparaît moins, car Tanaka se jette à coeur joie dans ses recherches : mais où qu’il aille, il ne voit rien ! Alors que le lecteur, en revanche, muni d’une pair de lunettes rouges (fournies avec le livre), peut voir ces fameuses créatures, bien cachées dans les illustrations. Un petit lexique à la fin permet de découvrir les noms et les particularités des différents yokaï que l’on découvre dans le livre : je les connaissais déjà pour ma part, mais cet album a été une très jolie surprise. Si vous voulez faire découvrir une facette originale du Japon à votre enfant, je vous le recommande !

Le Pays Incroyable de Norman Messenger

Résumé : Alors qu’il est en mer, l’auteur aperçoit une terre étrange, qu’il n’a jamais vue. Surpris et fasciné, il accoste pour en savoir plus…
« A peine avais-je posé le pied sur l’île que je tombai immédiatement sous son charme. Aucun endroit au monde ne ressemblait à celui-ci. Les arbres, les plantes, les créatures et les gens étranges qui la peuplaient défiaient l’entendement. Il fallait sans délai que j’explore et étudie cet endroit incroyable et que j’en consigne les particularités. »
A sa grande stupeur, Norman Messenger va croiser des habitants pas plus hauts que des poupées, des arbres à voile qui ne poussent que sur de petites barques en bois ou encore des oiseaux qui portent d’immenses cuissardes pour ne pas se mouiller les pieds.
Ce livre se compose d’une carte de l’île et de planches thématiques décrivant les habitants et les animaux qui peuplent ses contrées, ainsi que ses végétaux, ses montagnes et ses incroyables paysages. Certaines double-pages comportent des rabats et ménagent des jeux graphiques chers à Norman Messenger.

Je connaissais déjà Norman Messanger grâce à son album Imagine, que j’aimais beaucoup mais qui me faisait un peu peur aussi ^^’ J’ai découvert cet autre album avec beaucoup de plaisir : les mélanges entre les plantes, les animaux, les objets ou même le paysage sont complètement délirants ; la présentation, à base de petits textes et de rabats, fait beaucoup penser aux albums documentaires de la collection Gallimard (vous connaissez forcément, même si vous ne voyez pas tout de suite de quoi il s’agit). Bref, un documentaire très sérieux sur un pays totalement fou, à découvrir absolument ^^

Les mystères de Harris Burdick, de Chris Van Allsburg

Il y a plus de vingt ans paraissait un livre étonnant: un recueil de quatorze dessins découvert par Chris Van Allsburg chez un éditeur de livres pour enfants. L’auteur les avait publiés sans les textes correspondants. Il avait disparu. Seuls un titre et une phrase permettaient à l’imagination de reconstituer les histoires… ou d’en créer d’autres. Voici ces dessins dans une nouvelle présentation, accompagnés d’une préface inédite de Chris Van Allsburg, et surtout… augmentés d’une quinzième planche, et non la moindre, mystérieusement retrouvée…

Cet album a été un vrai coup de coeur et m’a complètement retourné le cerveau ❤ Il s’agit d’un ensemble de 14 dessins, tous destinés à illustrer une histoire… mais sans l’histoire ! De chaque récit, il n’y a que la première phrase. Les illustrations sont magnifiques, toutes représentent des scènes étranges, improbables ou fantastiques. On meurt d’envie d’inventer la suite, et c’est justement ce qu’ont fait plusieurs auteurs dans un recueil intitulé Les Chroniques de Harris Burdick : même Stephen King s’est prêté au jeu. Bien entendu, je veux absolument m’offrir l’album, le recueil, et me frotter à ces fameux dessins moi aussi :3

Ces présentations vous ont-elles plu ? Avez-vous envie de lire ces albums ? Dites-moi tout en commentaire 🙂

Premières lignes… #228

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Nouveau dimanche, nouvelle découverte ! Je continue le rendez-vous que j’ai trouvé chez Book & share, et inauguré par le blog Ma Lecturothèque 🙂 Le principe de ce post est de prendre un livre chaque semaine pour vous en citer les premières lignes.

Araki Köhei avait consacré sa vie – en tout cas sa vie professionnelle – aux dictionnaires.
Son intérêt pour les mots s’était éveillé tôt.
Une de ses premières découvertes concernaient le mot « chien ». Il avait éprouvé du ravissement en se rendant compte qu’il ne désignait pas seulement l’animal à quatre pattes?
C’était pendant un film que son père l’avait emmené voir. Couvert de sang et à l’article de la mort, un des gangsters avait gémi : « Ce chien qui s’est vendu aux flics… » Araki avait alors réalisé que « chien » signifiait ici un traître envoyé par l’ennemi.
Apprenant ce qui s’était passé, le chef de bande avait crié à ses hommes : « Bon sang de bonsoir, ne restez pas plantés là ! On ne peut pas le laisser crever comme un chien ! Allez le chercher ! »
Araki s’était aperçu que « chien » avait encore un autre sens : « Abandonné de tous. »
Que ce mot désigne un animal connu pour sa fidélité à son maître puisse aussi désigner un traître ou une personne abandonnée de tous lui avait paru étrange. Etait-ce parce que la loyauté qui le caractérisait pouvait parfois le pousser à trahir les autres pour son maître ? Et sa docilité, le conduire à être délaissé de tous ? Ces qualités canines étaient peut-être liées aux sens négatifs du mot « chien ».
Bien qu’il ait aimé réfléchir à ces mystères, Araki n’avait découvert que tardivement les dictionnaires, lorsque son oncle lui avait offert le Dictionnaire japonais Iwanami pour fêter son entrée au collège. Il s’était pris de passion pour cet ouvrage.
La quincaillerie que tenaient ses parents les occupait à plein temps. Leur objectif en matière d’éducation était que leurs enfants soient en bonne santé et ne causent de problèmes à personne. Comme la plupart des parents de cette époque, il n’auraient pas eu l’idée de les encourager à bien travailler en classe et encore moins de leur offrir un dictionnaire.
Enfant, Araki préférait bien sûr jouer dehors avec ses amis plutôt que passer du temps à étudier. Les dictionnaires ne l’intéressaient pas spécialement. A l’école, il arrivait que ses yeux s’arrêtent sur le dos de l’unique exemplaire de dictionnaire de japonais qui se trouvait dans sa salle de classe, mais ce n’était pour lui qu’un objet parmi d’autres.
Pourquoi s’était-il senti attiré par le dictionnaire, une fois qu’il l’avait ouvert ? Il avait été enchanté par sa couverture brillante, les signes qui couvraient entièrement la surface de ses pages, et la sensation de leur papier fin sous ses doigts. Mais ce qui l’avait séduit plus que tout, c’était la concision des articles expliquant le sens de chaque entrée.
Un soir qu’il jouait bruyamment avec son frère dans le séjour, leur père leur avait lancé : « Je vais faire la grosse voix, si vous n’arrêtez pas ! » Cela lui avait donné l’idée de chercher le mot koe, « voix », dans le dictionnaire.

Koe : 1. Son produit par les hommes ou les animaux grâce à un organe particulier situé dans la gorge. 2. Son qui y ressemble. 3. Ce qui indique la proximité d’une saison ou d’une époque.

L’article fournissait des exemples de ces différents sens. Il connaissait et utilisait certains d’entre eux, comme koe wo ageru, « faire la grosse voix », ou mushi no koe, « la voix des insectes », mais il n’aurait pas pensé à aki no koe, « la voix de l’automne », à savoir la proximité de l’automne, ni à yonju no koe wo kiku, « entendre la voix de la quarantaine », c’est-à-dire s’approcher de la quarantaine.