Archives de Catégorie: Poésie

Il m’a fallu plusieurs années et différents profs de littérature pour me rendre compte que j’aimais la poésie ^^ Bon, pas forcément tous les poèmes et tous les auteurs, mais j’adore en découvrir de nouveaux. J’aime les belles phrases qui sonnent joliment dans l’oreille, et j’adore les vers qui vous chavirent le coeur <3

Un peu de poésie pour enfants : Aimer

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Bien le samedi bande de poésies, nouveau bonjour et nouveaux gens ! On se retrouve à nouveau pour une petite poésie – profitez-en, parce qu’après j’ai lu plein de BD et elles vont nous occuper pour plusieurs articles 😀 Comme dans beaucoup de bibliothèques de France, j’ai eu l’occasion de faire quelques recherches pour le Printemps de Poètes. Le thème de cette année étant les frontières, je me suis concentrée sur la poésie de pays autres que la France. Et comme on ne connaît de la poésie japonaise que les haïkus et des poètes masculins, et que j’ai l’esprit de contradiction, j’ai donc cherché une poétesse japonaise qui a écrit des vers libres 😛

Après quelques tâtonnements sur Google, j’ai fini par découvrir Misuzu Kaneko, née en 1903 et morte en 1930, spécialisée dans la poésie pour enfants. Comme beaucoup malheureusement, elle n’a pas connu le succès de son vivant ; néanmoins, les poèmes et comptines qu’elle avait pu publier via des magazines pour enfants étaient déjà très appréciés pour leur douceur. Sa vie n’a pas été aussi heureuse : elle avait commencé à écrire et à publier, tout en prenant part au commerce familial (une librairie, le rêve), mais son mari (choisi par son oncle) lui impose d’arrêter l’écriture. Ce charmant compagnon de vie ne s’arrête pas en si bon chemin, la trompe et lui transmet une MST ; lorsque Kaneko obtient enfin le divorce, ce n’est que pour comprendre qu’elle va perdre la garde de sa fille. N’ayant plus aucun recours, elle finit par se donner la mort à 27 ans, la veille du jour où elle aurait dû remettre sa fille à son ex-mari. L’enfant sera finalement élevée par sa grand-mère. Ses poèmes ne sont redécouverts que bien plus tard, inscrivant leur auteure dans la postérité, et ce dans 11 langues différentes.

Le poème que je vous ai choisi a été traduit par Brigitte Allioux, et mis en ligne par Jacqueline Salmon. Il y avait beaucoup d’autres poésies de Misuzu Kaneko sur le site en question, donc je vous encourage vraiment à y faire un tour si jamais ça vous intéresse 🙂

je voudrais aimer
tout absolument tout

les poireaux, les tomates, le poisson aussi
tout pouvoir aimer, sans rien laisser

tout ce que cuisine maman
tous les petits plats qu’elle prépare

je voudrais aimer
tout le monde, et celui-ci, et celui-là

le médecin tout comme le corbeau noir
je voudrais tout aimer sans rien laisser

le monde entier
tout ce que firent les dieux

Un petit poème tout simple, à la fois spontané et plein de tendresse pour tout ce qui nous entoure. Un vœu de bonheur et d’amour, tellement naturel que j’en ai presque eu la larme à l’œil. J’aime beaucoup la progression, depuis l’assiette et les plats maternels (qui n’a jamais détesté son assiette de chou-fleur ou de brocolis…) à toutes les choses de la vie comme le médecin ou le corbeau. Tout ce qui compose notre univers, Kaneko voudrait l’aimer comme toutes ces choses que sa mère lui prépare, même celles qu’elle aime moins. Et surtout il y a cette idée de ne rien laisser sur le bord de l’assiette, de goûter et profiter de tout. Aimer tout, tout le monde, y compris ce qu’elle ne connaît pas encore et qu’elle a hâte de découvrir : « et celui-ci, et celui-là » ! La note finale est émerveillée, elle confine presque à la magie, en faisant de toutes ces choses des créations divines, des petits miracles. C’est comme si on voyait le monde pour la première fois, à hauteur d’enfant, avec fascination.

Pour une fois, j’ai tenu à vous mettre le portrait de l’auteure : elle y semble à peine sortie de l’enfance, son visage a encore de très jolies rondeurs et on imagine sans peine à quel point son sourire doit être adorable. La seule information est que la photo date d’avant 1930, donc au moins un an avant sa mort. C’est terrible parce que la photo est si lumineuse !

J’ai aussi tenu à vous partager une photo de l’œuvre d’art Love de Alexander Milov. Elle est assez connue, mais je l’adore et j’adore son message : on y voit deux adultes assis dos à dos, visiblement après une dispute mouvementée ; mais à l’intérieur de chacun des deux, il y a un enfant, qui lui n’aspire qu’à la réconciliation. Pour Milov, ces enfants, qui brillent dans le noir, représentent la sincérité et la spontanéité, l’envie de se parler malgré les problèmes. Cette sculpture m’évoque la même émotion que le poème de Misuzu Kaneko : une envie, un désir simple, et un sentiment d’amour aussi naturel que de respirer. Ca semble tout petit et utopique par rapport au monde qui nous entoure, mais rien à faire, ça semble tellement évident qu’imaginer qu’on ne l’ait pas tous en nous devient inconcevable. On a envie d’embrasser le monde, encore plus si ça peut le rendre heureux à son tour.

Connaissiez-vous déjà Misuzu Kaneko ou Alexander Milov ? Est-ce que d’autres artistes vous ont fait ressentir cette émotion ? Dites-moi en commentaire, et n’hésitez pas à me conseiller d’autres œuvres, je suis toujours à l’affût 😀

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Un peu de poésie sur Instagram

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Bien le samedi bande de poésies, nouveaux bonjour et nouveaux gens ! Quand je vous prépare des post poésie, j’essaie de remplir à chaque fois un ou plusieurs critères : le minimum syndical, c’est que ça me plaise, évidemment ! J’essaye aussi de mettre en valeur des poétesses, car elles ont assez peu de visibilité et qu’il y en a plein qui sont passées sous le radar de l’histoire et des programmes littérature du lycée. En plus ou à la place, j’aime aussi choisi des œuvres récentes, parce que, encore grâce à l’Education Nationale, on a l’impression que la poésie, c’est jusqu’aux surréalistes et après que pouic ! Alors que non, la poésie c’est hyper riche, et encore aujourd’hui il y a énormément de poètes et poétesses bien vivants à découvrir.

Ce qui a motivé ce post-ci, c’est la très agréable découverte d’une poétesse qui écrit sur Instagram ! Kiyémis est une autrice afroféministe, qui travaille beaucoup sur les thèmes du rapport au corps, de l’identité, de l’amour de soi, le tout dans une perspective positive et antiraciste. Elle a déjà publié un recueil en 2018, A Nos Humanités Révoltées. J’ai beaucoup apprécié son compte, avec la configuration Instagram qui permet vraiment de piocher et picorer les poèmes : je vous encourage donc vivement à découvrir le compte Insta de Kiyémis, et son site internet pour faire bonne mesure 😀

Sur ce, je vous propose de découvrir trois de ces poèmes qui m’ont tapé dans l’œil ^^

J’aime beaucoup l’atmosphère qui se dégage de ces mots ; parfois on dirait même des pensées notées à l’arrache (à la rage ?) dans un carnet, des mots parfois lapidaires mais imprégnés d’émotions jusque dans la moindre lettre.
Le premier poème m’avait marquée par un besoin, et un sentiment de ne pas réussir à se supporter soi-même ; c’est le paradoxe de chercher à tout prix à rejoindre les autres, tout en s’enfermant dans une carapace. Pour beaucoup de personnes, ça se résume à « arrête de t’auto-flageller », mais c’est tellement, tellement loin d’être aussi simple ! On retrouve aussi pas mal les réflexions du philosophe Pascal dans ce poème, Pascal pour qui « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

Les deux autres poèmes sont un peu plus positifs et encouragent à oser, tenter, recommencer, ne pas se laisser abattre. Ici, on est vraiment dans l’acceptation de soi et de ses échecs. Et d’ailleurs, heureusement qu’on n’a pas besoin d’être parfaits, vous imaginez la pression de fou furieux ? Les deux poèmes encouragent vraiment à relativiser, et à se dire qu’un échec n’a que l’importance qu’on veut bien lui donner ; en revanche, un seul petit effort, une nouvelle tentative, un changement de perspective, ça fait parfois toute la différence.

Et pour finir sur une dernière note positive, petit conseil à ceux qui, comme moi, ont tendance à se dévaloriser : imaginez que votre super pote dise la même chose de lui/elle-même. Jamais vous ne le/la laisseriez dans cet état. Vous feriez tout pour qu’il/elle se sente mieux, tout comme lui/elle ne vous laisserait jamais vous embourber. Imaginez ce que vous lui diriez, imaginez ce qui lui/elle vous dirait, et gardez ces mots précieusement pour vous. Personnellement, ça marche beaucoup mieux pour moi que des trucs comme l’autosuggestion, que je n’ai jamais réussi à appliquer ^^’ J’espère que ça vous aidera aussi !

J’espère que vous avez aimé découvrir les poèmes de Kiyémis, n’hésitez pas encore une fois à découvrir son compte Instagram 😀

Un peu de poésie enragée : Do not go gentle into that good night

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Bien le samedi bande de poésies, nouveau bonjour et nouveaux gens ! Encore une poésie, on ne m’arrête plus ! Une poésie que j’ai découverte un peu par hasard, une autre preuve que le hasard fait très joliment les choses : je regardais un épisode de Doctor Who (celui où David Tennant rencontre Shakespeare), où le Docteur cite un vers d’un poème, précisant à Shakespeare qu’il ne pourra pas le reprendre, car le poème doit être écrit par quelqu’un d’autre dans le futur. Bon, je ne me rappelle malheureusement pas la ligne de dialogue, mais elle m’avait obsédé à ce moment-là ! Je voulais absolument savoir qui l’avait écrite.

Et enfin, j’ai su 😀 Il s’agit d’un poème de Dylan Thomas (1914-1953), qui a été reconnu comme l’un des plus importants poètes gallois du XXe siècle. C’est même son poème le plus connu : Do not go gentle into that good night. Pour vous donner un peu plus de détails, il était plus proche des poètes romantiques que de ceux de sa génération ; il aimait cultiver son image de poète maudit sombrant dans l’alcool, se vantait de sa consommation… et c’est d’ailleurs elle qui finira par avoir sa peau. Très célèbre déjà de son vivant, son travail était très aimé pour sa rythmique, et l’auteur s’est également fait connaître avec des émissions de radio.

Le poème est en anglais, néanmoins je vous ai mis une traduction française plus bas, de Line Audin, agrégée d’anglais (et prise sur ce site) 🙂 Par ailleurs, il existe une lecture enregistrée de l’auteur pour son poème, disponible sur Youtube mais… j’avoue ne pas être fan du tout, c’est horrible parce que c’est sans doute la meilleure lecture possible, vu que c’est celle de l’auteur et qu’il avait l’habitude d’être enregistré ^^’ Mais je préfère largement la lecture d’Iggy Pop, et c’est celle que je vous ai mis encore en-dessous, pour que vous puissiez profiter de la musique de la version originale !

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day ;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieve it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit,
La vieillesse devrait s’embraser, se déchaîner face au jour qui s’achève ;
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.

Même si sur sa fin l’homme sage sait que l’obscurité est méritée,
Parce que ses mots n’ont fendu nul éclair il
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.

L’homme bon, près de la vague ultime, pleurant
Sur ses frêles exploits dont l’éclat aurait dansé sur une verte baie,
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.

L’homme insoumis qui s’empare du soleil en plein vol et le chante,
Apprenant, trop tard, qu’il l’a peiné dans sa course,
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.

L’homme grave, qui, agonisant, voit, vision aveuglante
Que l’œil aveugle pourrait flamboyer tel un météore et se réjouir,
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.

Et toi, mon père, là-bas sur ce triste promontoire,
Maudis-moi, bénis-moi maintenant de tes larmes de colère, je t’en supplie.
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.

Ce poème est, à ce que j’ai lu, l’un des plus accessibles de Dylan Thomas. N’ayant pas lu les autres, je me garderai de juger ; mais c’est vrai qu’ici, le thème du poème est très vite clair : c’est l’approche de la mort et le refus de se laisser mourir. Le poème est un villanelle, c’est-à-dire une succession de couplets avec un refrain qui revient régulièrement. Et ce refrain est extrêmement fort, on est vraiment dans l’idée de ne pas laisser faire, de se dresser à nouveau et de tendre les bras vers la lumière, alors même qu’on est à l’agonie. C’est lutter contre un ennemi imbattable, la mort elle-même, celle qui emporte tout le monde à la fin : le vieil homme, l’homme sage, l’homme bon, l’homme insoumis,… Et la frustration, le désespoir à leur comble quand on est forcé de rendre les armes. L’image est belle, les mots sont puissants, et plus je relis ces vers, plus je les aime.
Chapeau d’ailleurs à la traduction de Line Audin, qui parvient à reprendre le rythme des vers finaux, et à les rendre tout aussi fascinants en français. La dernière strophe donne des frissons, puisque le poète supplie son père de lutter à son tour, et de ne pas se laisser mourir (toutefois, Dylan Thomas a écrit son poème quelques années avant la mort de son propre père).

Pour accompagner ce poème, il y avait juste une infinité de tableaux ou illustrations possibles, du coup je suis revenue à mes artistes chouchous 😀 L’image d’un homme qui se relève, qui lutte contre sa mort, j’imagine tellement ça avec une musique épique et une scène badass, que du coup, l’illustration s’est imposée d’un coup : un dragon. Les dragons sont pour moi l’incarnation ultime de la puissance, la colère et la liberté combinées. Imaginez un rugissement, un vrai rugissement de dragon, alors qu’il étend ses ailes, immense et incroyable. Un dragon qui se dresse et hurle pour échapper à l’ombre et rejoindre la lumière.

Tout naturellement j’ai pensé à la sublime illustration Arsenic et Boule de Gomme (aka le duo de Elian Black’Mor et Carine M.), celle qui se trouve en couverture du sublime Sur la piste des dragons oubliés. Je vous ai parlé plusieurs fois d’eux, je suis complètement fan, et ils l’ont bien compris au dernier festival de la BD d’Angoulême : je suis arrivée avec un sourire béat vissé aux lèvres, eux-mêmes n’ont pas bien compris au début et ça me chagrine de me dire que je les ai ptet un peu inquiétés au début XD Cette illustration est juste parfaite pour le poème de Dylan Thomas, on a tout ! Le déploiement incroyable des ailes, les ombres qui semblent vouloir engloutir la créature, la lumière presque ténue au loin, et ce rouge écarlate, prêt à tout embraser une nouvelle fois. Rage, rage against the dying of the light.

Il y avait toutefois une autre artiste qui me tentait, c’était Yuumei. Cette fois-ci, j’avais moins en tête un mouvement de fureur, comme un volcan qui explose, qu’une idée de rébellion, de résistance face à une tyrannie. Bon, la mort reste la mort, et je suis intimement convaincue qu’elle est une chose nécessaire. Mais si on pense plutôt à une métaphore, il s’agirait plutôt de lutter contre la disparition de la liberté, contre l’oppression, voire même (et ce ne serait plus tellement une métaphore mais une triste réalité) contre la disparition du monde connu. Si j’ai pensé à Yuumei, c’est que non seulement elle a réalisé plusieurs sublimes illustrations dénonçant le réchauffement climatique et l’inaction, mais également un webcomic où il est question de lutter contre une tyrannie. J’ai choisi cette image juste au-dessus, parce qu’entre les oiseaux et les plantes, et cette image de rebelle, je retrouve le même sentiment qu’à la lecture du poème de Dylan Thomas.

Connaissiez-vous toutes ces oeuvres ? Aimez-vous leur association ? N’hésitez pas à me dire votre avis ou vos conseils en commentaire 😀

Premières ligne… #250

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Nouveau dimanche, nouvelle découverte ! Je continue le rendez-vous que j’ai trouvé chez Book & share, et inauguré par le blog Ma Lecturothèque 🙂 Le principe de ce post est de prendre un livre chaque semaine pour vous en citer les premières lignes.

Celui qui a arpenté les ombres de Zothique,
Sous les rayons obliques de son soleil de braise,
Ne retournera pas aux pays de jadis,
Mais hantera à jamais une ultime côte,
Dont les cités s’effondrent dans le sable noir
D’un océan saumâtre où les dieux morts vont boire.

Celui qui a connu les jardins de Zothique,
Où le bec des simurghs se gorge du sang des fruits,
Se lassera de ceux des plus verts hémisphères :
Sous des tonnelles, au bout du monde,
Dans les cycles couchants d’années crépusculaires,
Il sirotera un vin à la robe amarante.

Celui qui a aimé les sauvages de Zothique,
Ne cherchera ailleurs plus douce favorite :
Les baisers des amantes vaudront ceux d’un vampire.
Et à la fin des temps, dans la dernière nécropole,
Le spectre écarlate de Lilith
Se languira de lui, amoureux, maléfique.

Ce qui sur le pont des galères de Zothique
A vu se profiler d’étranges flèches et pics,
Devra encore faire face aux typhons des sorcières
Et tenir seul la barre,
Sur des mers lointaines, sous une lune désaxée
Ou un zodiaque tronqué.

Un peu de poésie pécheresse : Révolte

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Bien le samedi bande de poésies, nouveau bonjour et nouveau gens ! Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas parlé poésie par ici, et ça me manquait 🙂 Je vous ai parlé de beaucoup de poétesses maintenant, et ça commence à me prendre pas mal de temps pour vous trouver de nouveaux poèmes et de nouveaux artistes. Mais Internet est plein de ressources, et d’ici à ce que j’ai épuisé la bête, on a le temps de mourir cinq fois du réchauffement climatique 😛

Je vous présente donc Forough Farrokhzad, une poétesse iranienne née en 1935 et morte en 1967. Je ne sais pas si vous saisissez bien ce que ça implique : être une femme, poète, en Iran. Sachant qu’actuellement, et probablement aussi à son époque, l’Iran et les droits des femmes, ce sont deux choses à peu près aussi éloignées que les politiciens et les actions concrètes contre la pollution. Elle-même a eu sa part d’injustices : mariée à 16 ans, elle divorce en 1954 et se voit retirer la garde de son fils, car elle avait eu des aventures extra-conjugales. Ne pouvant voir son fils que de très rares fois, elle souffrait beaucoup du fait que l’enfant grandissait en croyant que sa mère l’avait abandonné pour vivre de poésie et de luxure.
Forough ne s’est pas contentée de la poésie : actrice, écrivaine, cinéaste, réalisatrice, elle a touché à tout. Ses poèmes ont fait couler beaucoup d’encre et scandalisé pas mal de monde, car Forough était féministe et n’hésitait pas à révéler dans ses œuvres l’intimité des femmes, leurs désirs et leurs aspirations ; elle réclamait l’indépendance et la liberté pour son sexe. Pour autant (et c’est ce que je préfère), elle estimait qu’un poème ne devait pas être considéré pour le genre de son artiste, mais pour son humanité, ou plutôt sa capacité à se séparer de son auteur pour atteindre un niveau où il est considéré pour son mérite en tant qu’œuvre. De fait, elle militait pour donner plus de place aux femmes, tout en dépassant la traditionnelle frontière des rôles homme-femme.

Bref ! Maintenant vous avez assez de matière pour replacer le poème que j’ai choisi dans son contexte ^^ Voici donc « Révolte », un titre qui se passe de commentaires :

Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car j’ai dans le cœur une histoire irracontée
Délivre mes pieds de ces fers qui les retiennent
Car cette passion m’a bouleversée

Viens, homme, viens, égoïste
Viens ouvrir les portes de la cage
Toute une vie, tu m’as voulue en prison
Dans le souffle de cet instant, enfin, délivre-moi

Je suis l’oiseau, cet oiseau qui depuis longtemps
Songe à prendre son envol
Mon chant s’est fait plainte dans ma poitrine serrée
Et dans les désirs, ma vie a reflué

Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car il me faut dire mes secrets
Et que je fasse entendre au monde entier
Le crépitement enflammé de mes chants

Viens, ouvre la porte, que je m’envole
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laisses m’envoler
Je me ferai rose à la roseraie du poème

Mes lèvres sucrées par tes baisers
Mon corps parfumé à ton corps
Mon regard avec ses étincelles cachées
Mon cœur plaintif, par toi rougi

Mais ô homme, homme égoïste
Ne dis pas c’est une honte, que mon poème est honteux
Pour ceux dont le cœur est enfiévré, le sais-tu,
L’espace de cette cage est étroite, si étroite ?

Ne dis pas que mon poème était péché tout entier
De cette honte, de ce péché, laisse-moi ma part
Je te laisse le paradis, ses houris et ses sources
Toi, laisse-moi un abri au cœur de l’enfer

Livre, intimité, poème, silence
Voilà pour moi, les sources de l’ivresse
Qu’importe de n’avoir pas voie au paradis
Puisqu’en mon cœur est un paradis éternel !

Lorsque dans la nuit, la lune danse en silence
Dans le ciel confus et éteint
Toi, tu dors et moi, ivre de désirs inassouvis
Je prends contre moi le corps du clair de lune

La brise m’a déjà pris des milliers de baisers
Et j’ai mille fois embrassé le soleil
Dans cette prison dont tu étais le geôlier
Une nuit, au profond de mon être un baiser me fit vaciller

Rejette loin de toi l’illusion de l’honneur, homme
Car ma honte m’est jouissance ivre
Et je sais que Dieu me pardonnera
Car il a donné au poète un cœur fou

Viens, ouvre la porte, que je déploie mes ailes
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laissais m’envoler
Je me ferais rose à la roseraie du poème

Le poème est certes un peu long, mais j’ai beaucoup aimé les images et le calme qui en ressortent. Il y a même une petite ritournelle avec l’image de la rose à la roseraie du poème qui revient ; et à chaque fois, ça donne un peu plus le frisson. C’est la femme qui se libère par elle-même, et ce peu importe à quel point l’homme essaye de l’enfermer : il ne pourra jamais l’atteindre en son for intérieur. Certes, elle réclame sa liberté (et avec raison), mais elle revendique aussi : il n’y a pas de honte, pas de pudeur à avoir, elle assume totalement sa passion et ses désirs face à un regard masculin et condamnateur.
Je sais qu’aujourd’hui c’est quelque chose de limite banal, avec la mode de la sorcellerie, de parler d’intériorité féminine. Mais dans un contexte où absolument tout est contrôlé par les hommes et où les femmes n’ont aucune liberté d’expression, c’est incroyablement fort et courageux de dire : « tu ne peux pas contrôler ce que je pense, et, tu as beau te dire supérieur à moi, tu n’as pas la plus petite idée de la richesse de ce que je ressens ». Et surtout, là où dans un poème comme Pilori, la colère et l’envie de vengeance sont présentes, ici ce n’est pas ce qui est recherché. Au contraire, elle est au-delà de ça et ne cherche qu’à profiter du bonheur d’être en vie et d’écrire, bref elle veut s’assumer.

Pour l’illustration, beaucoup, beaucoup de prise de tête, et finalement plus de choix que je ne pensais ! Au départ je voulais un tableau qui colle au sens du poème, mais c’était très dur de trouver un choix à la fois pertinent et qui me plaise. Et ce qui vous a ptet semblé évident ne m’est venu qu’après : mettre en valeur une peintre iranienne. Et en fait, je n’ai pas réussi à choisir entre ces trois tableaux donc je vous ai proposé les trois 😀 Dans l’ordre :

  • Un tableau de Parya Vatankhah, une artiste franco-iranienne qui fait également de très belles réalisations dans la photographie et la vidéo. La peinture est issue de la série « The Other World » et je l’ai choisie pour son jeu de couleurs, d’un bleu calme avec un touche de rouge rébellion ^^ En plus, la forme des traits donne vraiment l’impression d’une fenêtre ou d’une ouverture sur un autre monde, donc ça colle super bien avec le poème. Et pourtant la peinture abstraite, ce n’est pas mon truc d’habitude 😀 Je vous conseille d’aller jeter un œil à son site, c’est très intéressant 🙂
  • Un tableau de Behjat Sadr (1924-2009), Trace through the black. Un grand nom, c’est la première femme peintre iranienne à avoir été considérée comme égale aux peintres masculins de son pays, et une pionnière des arts visuels en Iran. Et notre Forough a même été son élève ^^ Le tableau m’a tout de suite attiré l’oeil, et n’est pas sans me rappeler certaines images de Yuumei, une autre artiste que j’aime beaucoup : on dirait qu’il y a une sorte de trompe l’œil en plein milieu du tableau, à moins que ce ne soit un passage vers une réalité idéale. Si son travail vous plaît, n’hésitez pas à consulter le site qui lui est dédié !
  • Et enfin, Shemiran Winter de Ghazaleh Akhavan Zandjani, une artiste mondialement connue pour ses œuvres en peinture et en tapisserie ! Tapisserie persane pour être précise, avec des motifs traditionnels iranien, car la culture de son pays lui tient beaucoup à cœur. Sachez aussi qu’elle enseigne la peinture chinoise, c’est l’anecdote qui m’a faire rire, mais après tout pourquoi pas 😀 En cliquant ici, vous pouvez voir quelques unes de ses œuvres, mais c’est ce tableau qui m’a le plus marquée : le bleu des arbres est juste fascinant, je pourrais rester des heures à le regarder.

Connaissiez-vous déjà ces artistes ? Avez-vous aimé les découvrir ? N’hésitez pas à vous manifester en commentaire, je lis tout avec attention 🙂