Bien le samedi bande de poésies, nouveau bonjour et nouveaux gens ! On se retrouve à nouveau pour une petite poésie – profitez-en, parce qu’après j’ai lu plein de BD et elles vont nous occuper pour plusieurs articles 😀 Comme dans beaucoup de bibliothèques de France, j’ai eu l’occasion de faire quelques recherches pour le Printemps de Poètes. Le thème de cette année étant les frontières, je me suis concentrée sur la poésie de pays autres que la France. Et comme on ne connaît de la poésie japonaise que les haïkus et des poètes masculins, et que j’ai l’esprit de contradiction, j’ai donc cherché une poétesse japonaise qui a écrit des vers libres 😛
Après quelques tâtonnements sur Google, j’ai fini par découvrir Misuzu Kaneko, née en 1903 et morte en 1930, spécialisée dans la poésie pour enfants. Comme beaucoup malheureusement, elle n’a pas connu le succès de son vivant ; néanmoins, les poèmes et comptines qu’elle avait pu publier via des magazines pour enfants étaient déjà très appréciés pour leur douceur. Sa vie n’a pas été aussi heureuse : elle avait commencé à écrire et à publier, tout en prenant part au commerce familial (une librairie, le rêve), mais son mari (choisi par son oncle) lui impose d’arrêter l’écriture. Ce charmant compagnon de vie ne s’arrête pas en si bon chemin, la trompe et lui transmet une MST ; lorsque Kaneko obtient enfin le divorce, ce n’est que pour comprendre qu’elle va perdre la garde de sa fille. N’ayant plus aucun recours, elle finit par se donner la mort à 27 ans, la veille du jour où elle aurait dû remettre sa fille à son ex-mari. L’enfant sera finalement élevée par sa grand-mère. Ses poèmes ne sont redécouverts que bien plus tard, inscrivant leur auteure dans la postérité, et ce dans 11 langues différentes.
Le poème que je vous ai choisi a été traduit par Brigitte Allioux, et mis en ligne par Jacqueline Salmon. Il y avait beaucoup d’autres poésies de Misuzu Kaneko sur le site en question, donc je vous encourage vraiment à y faire un tour si jamais ça vous intéresse 🙂

je voudrais aimer
tout absolument tout
les poireaux, les tomates, le poisson aussi
tout pouvoir aimer, sans rien laisser
tout ce que cuisine maman
tous les petits plats qu’elle prépare
je voudrais aimer
tout le monde, et celui-ci, et celui-là
le médecin tout comme le corbeau noir
je voudrais tout aimer sans rien laisser
le monde entier
tout ce que firent les dieux
Un petit poème tout simple, à la fois spontané et plein de tendresse pour tout ce qui nous entoure. Un vœu de bonheur et d’amour, tellement naturel que j’en ai presque eu la larme à l’œil. J’aime beaucoup la progression, depuis l’assiette et les plats maternels (qui n’a jamais détesté son assiette de chou-fleur ou de brocolis…) à toutes les choses de la vie comme le médecin ou le corbeau. Tout ce qui compose notre univers, Kaneko voudrait l’aimer comme toutes ces choses que sa mère lui prépare, même celles qu’elle aime moins. Et surtout il y a cette idée de ne rien laisser sur le bord de l’assiette, de goûter et profiter de tout. Aimer tout, tout le monde, y compris ce qu’elle ne connaît pas encore et qu’elle a hâte de découvrir : « et celui-ci, et celui-là » ! La note finale est émerveillée, elle confine presque à la magie, en faisant de toutes ces choses des créations divines, des petits miracles. C’est comme si on voyait le monde pour la première fois, à hauteur d’enfant, avec fascination.
Pour une fois, j’ai tenu à vous mettre le portrait de l’auteure : elle y semble à peine sortie de l’enfance, son visage a encore de très jolies rondeurs et on imagine sans peine à quel point son sourire doit être adorable. La seule information est que la photo date d’avant 1930, donc au moins un an avant sa mort. C’est terrible parce que la photo est si lumineuse !

J’ai aussi tenu à vous partager une photo de l’œuvre d’art Love de Alexander Milov. Elle est assez connue, mais je l’adore et j’adore son message : on y voit deux adultes assis dos à dos, visiblement après une dispute mouvementée ; mais à l’intérieur de chacun des deux, il y a un enfant, qui lui n’aspire qu’à la réconciliation. Pour Milov, ces enfants, qui brillent dans le noir, représentent la sincérité et la spontanéité, l’envie de se parler malgré les problèmes. Cette sculpture m’évoque la même émotion que le poème de Misuzu Kaneko : une envie, un désir simple, et un sentiment d’amour aussi naturel que de respirer. Ca semble tout petit et utopique par rapport au monde qui nous entoure, mais rien à faire, ça semble tellement évident qu’imaginer qu’on ne l’ait pas tous en nous devient inconcevable. On a envie d’embrasser le monde, encore plus si ça peut le rendre heureux à son tour.
Connaissiez-vous déjà Misuzu Kaneko ou Alexander Milov ? Est-ce que d’autres artistes vous ont fait ressentir cette émotion ? Dites-moi en commentaire, et n’hésitez pas à me conseiller d’autres œuvres, je suis toujours à l’affût 😀