Bien le bonjour bande de circuits sanguins imprimés sur un squelette, dites-moi, êtes vous plutôt technophiles ou technophobes, comme ça, entre nous, là maintenant tout de suite ?
Nouveau samedi et nouvelle poésie, et comme la semaine dernière, j’ai envie de vous proposer de la poésie plus récente, pour prouver qu’aujourd’hui comme il y a plusieurs siècles, la poésie peut toujours être aussi émouvante, aussi dérangeante, en deux mots aussi belle. Et j’ai déniché une pépite qui parvient à mélanger science-fiction et poésie, de Jean-Pierre Villebramar, né en 1939. Sa production poétique est toute récente, elle ne date que de 2014, et compte actuellement 4 ou 5 recueils de poèmes, dont un qui est une réédition remaniée et illustrée. Le poème dont je vous parle est tiré du recueil Poèmes pour un autre temps, publié en 2016, et s’intitule « Brave New World ». Si la phrase vous parle, c’est normal, on la connaît beaucoup car elle est le titre original de la célèbre oeuvre dystopique d’Aldous Huxley, Le Meilleur des Mondes. Mais en réalité, c’est à Shakespeare qu’on doit cette parole dans sa pièce La Tempête ; Huxley l’a popularisé, et maintenant on la retrouve dans tout un tas de série, films, et surtout titres d’albums, notamment d’Iron Maiden ; personnellement, je la connais surtout dans le single This is War de 30 Seconds to Mars (que je vous conseille). Ne connaissant que le résumé de The Tempest et quelques bribes de l’histoire d’Aldous Huxley, j’aurais tout de même tendance à dire que le poème est surtout inspiré du roman de ce dernier. Je laisse juger ceux qui ont lu et ceux qui liront, place à « Brave New World » :
Dis-moi le Monde de demain
un monde où les robots aimeront d’amour,
pendant que murmure la ville de ses rues ensoleillées
de néons
de néants.
Les robots aimeront.
Et nous ?
Dis-moi
les amours de demain entre hommes et machines femelles,
les paradis artificiels pour oublier le Temps où l’Amour se faisait à deux.
Cependant murmure et resplendit la ville de ses rues ensoleillées
de ses néons.
De ses néants.
Dis-moi les levers matinaux quand le métro se réveille,
s’endorment les premiers voyageurs à la station de Clichy-sous-Bois
et la ville murmure encore,
murmure encore et resplendit de ses néons
de ses néants.
Quel monde me prépares-tu ce matin, quel monde, quels jours quelles nuits à venir
pour les amants d’un soir, les aventures sans retour
dis-moi
Brave New World !
Si demain aimerons encore et si la ville qui ce soir murmure
toujours resplendira de ses néons, de ses néants,
jour après jour.
Dis-moi, qui es-tu Brave New World, j’ai cherché dans google bilingue et j’ai su
l’ordinateur m’ayant répondu d’un sourire :
brave new world, le meilleur des mondes
cependant,
cependant, toutes les rues de ma ville murmurent et resplendissent de leurs néons
de leurs néants
Brave New World, Le Meilleur des Mondes
Le poème nous représente l’avènement d’un monde sans sentiment, régit par une instance robotique pour qui il s’agit du meilleur des monde, calculé avec les meilleures probabilités et les meilleures statistiques, où tout est à sa place. Et c’est là que je me demande si l’ordinateur sourit vraiment, ou s’il est ironique, à moins que ce ne soit le narrateur qui est ironique face à la machine. En fait, le sourire de l’ordinateur me fait vraiment penser à quelque chose de mécanique du type « Ne vous inquiétez pas, nous faisons ça pour votre bien ». La pire excuse du monde soit dit en passant. Dans Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, les humains ne naissent plus par l’accouplement d’un homme et d’une femme, toute allusion au sexe est taboue et les enfants viennent au monde par l’intermédiaire d’une machine ; d’où à mon avis l’allusion dans le poème au couple homme et machine. Le soleil semble resplendir sur une ville peuplée de robots, sans souffle vital, rien que des machines silencieuses qui murmurent ; quand vient la nuit, on n’entend et on ne voit que les néons qui bourdonnent. Le Temps et l’Amour sont devenues des notions obsolètes et vidées de sens, puisque les robots ne peuvent percevoir ni l’un ni l’autre ; mais sans le temps et l’amour, est-ce que l’homme lui-même ne deviendrait pas un robot ? Imaginons un instant que le poète se considère comme le dernier homme véritable sur Terre, car le reste du monde lui apparaît comme une vaste masse de robots. Je ne pense pas que ce soit un poème technophobe, mais je l’aime beaucoup pour cette vision qu’il propose, celle d’un monde privé de l’homme qui serait probablement, et ironiquement, le meilleur des mondes.

Bien que la phrase évoque quelque chose d’ironique, c’est aussi un symbole d’espoir, l’espoir de voir émerger un meilleur monde sur les ruines de l’ancien ravagé par la folie humaine sous toutes ses formes. De ce point de vue là, ça me fait beaucoup penser au film Nausicäa de Miyasaki, qui a également réalisé un manga en 7 tomes qui raconte la même histoire mais plus détaillée et plus complexe : je vous conseille les deux, ce sont de vrais chef d’oeuvres. L’image que je vous propose au-dessus est tirée de la plateforme DeviantArt, et a été réalisée par allthenightlong. Je trouve qu’elle colle bien au poème dans l’idée d’une construction sans vie, à la fois méchanique et organique, plongée dans le silence et les tons de gris. J’aime beaucoup aussi l’image suivante, mais je n’ai pas pu vous retrouver la source, qui je l’espère se nommera pour que je puisse lui dire à quel point j’aime beaucoup ce qu’elle a fait. Je l’associe au poème pour l’opposition homme (enfin ici femme) et ville, bien que le silence semble plutôt du côté de la femme ; elle a l’air mélancolique en regardant la frénésie de couleurs et de sons du dehors, comme rien de tout ça n’avait plus aucun sens. Tout resplendit comme dans le poème, tout a l’apparence de la chaleur et de la couleur, mais la vie, elle, est en train de se flétrir sur la table devant le seul personnage vivant de l’image, comme un amour sans lendemain.
