Les Abysses

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Bien le bonjour bande de gens, j’espère que vous allez bien ! Pour briller en société ou juste parce qu’on est bizarre, on aime bien retenir le nom de certaines phobies : coulrophobie pour les clowns, trypophobie pour les trous, hippopotomonstrosesquippedaliophobie pour les mots trop longs (et le mec qui a inventé le mot a loupé une carrière de bourreau visiblement),… Aujourd’hui, j’ai appris le mot taphéphobie, ou la peur d’être enterré vivant : elle a connu un petit boum à la fin du XIXème siècle avec l’essor du roman gothique et notamment La Chute de la Maison Usher d’Egard Allan Poe. Voilà, c’était la minute « j’ai appris un truc et j’en suis fière allez savoir pourquoi » XD

Nouvelle chronique littéraire ! J’avais entendu plusieurs fois parler de Rivers Solomon via le blog Les Chroniques du Chroniqueur (que je vous conseille beaucoup), et j’avais très envie de la découvrir ! Auteure non-binaire américaine (elle tolère cependant le féminin en français parce qu’on galère avec le neutre), elle est associée à la science-fiction et à l’afrofuturisme, c’est-à-dire une redéfinition de la communauté noire à travers la science-fiction ou le réalisme magique. C’est un courant dont j’ai hâte de découvrir plus de livres ! J’ai sauté sur l’occasion de lire le dernier roman de Rivers Solomon, Les Abysses, paru en 2020 aux éditions Les Forges de Vulcain.

Résumé : Lors du commerce triangulaire des esclaves, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à la mer. Mais en fait, toutes ces femmes ne mouraient pas. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l’une d’entre elles, Yetu, va le leur rappeler, dans ce roman d’émancipation, magique et réflexif, sur la condition noire et sur l’impossibilité d’une justice, en l’absence de vérité.

Mon avis :

La couverture est très belle et nous plonge dans les profondeurs de l’océan, avec une mystérieuse silhouette et surtout des chaînes qui ondulent comme une macabre végétation sous-marine. C’est une illustration de la graphiste Elena Vieillard ^^ Avant de lire, on peut se dire que les chaînes sont celles de l’esclavage des Noirs, mais au fur et à mesure de la lecture, on comprend qu’il y a plusieurs formes d’enchaînement…

Le roman prend sa source dans un univers très particulier. Au début, il y a le groupe de musique électro/techno Drexciya, qui a oeuvré au milieu des années 90 à Détroit. Bon, personnellement j’avoue ne pas être fan de leur musique, mais ils ont inventé et souvent réutilisé le peuple des drexciyans, une civilisation aquatique qui descend en fait des esclaves jetés à la mer lors de la traite des Noirs pendant le trajet de l’Afrique à l’Amérique. Le groupe de hip-hop expérimental Clipping a ensuite repris cet univers dans sa chanson The Deep : très narrative et directement ancrée dans l’afrofuturisme, elle a donné l’inspiration à Rivers Solomon pour écrire son roman.

Nous découvrons la civilisation, non pas des Drexciyans, mais des Wajinrus, née des femmes enceintes noires jetées par-dessus bord des navires négriers. Leurs enfants, passés directement du liquide amniotique à la mer, sont devenus des êtres mi-humains mi-poissons. Leur civilisation s’est construite peu à peu, mais la découverte de leurs origines sanglantes et de la cruauté des bipèdes qui vivent à la surface des eaux menace la tranquillité des Wajinrus. Capables de déclencher des tempêtes grâce à leurs capacités psychiques, ils peuvent être redoutables, mais leur nature est plutôt pacifique. Afin de vivre libérés du poids de cette histoire chaotique, ils désignent alors des historiens, chargés de conserver tous les souvenirs de leur peuple. A eux d’en supporter le poids, dont ils ne se libèrent qu’une fois par an lors du Don de Mémoire, afin que les Wajinrus puissent régulièrement se souvenir de leurs origines… au moins pour quelques instants. Yetu est historienne, mais sa sensibilité extrêmement développée fait de cette fonction une véritable torture mentale et physique. Les souvenirs dont elle est dépositaire menacent de l’engloutir, sans que personne autour d’elle ne puisse comprendre. Ne pouvant plus supporter ce calvaire, elle décide de s’enfuir… mais ce faisant, elle met tout les Wajinrus en péril.

L’histoire aborde des thèmes très forts, et il ne s’agit pas tant de racisme que d’appréhender un héritage violent, et de l’importance et de la force d’une communauté en ce qu’elle permet, normalement, de ne pas avoir à souffrir seul. Yetu a l’impression d’être une sorte de bouc-émissaire pour que tous les autres puissent vivre insouciamment, mais pourtant son rôle est crucial. Car un peuple privé de sa mémoire n’a plus aucun point de repère qui lui permette de se rassembler et de se réunir pour un soutien mutuel. Son exil va être l’occasion d’une prise de conscience, mais va aussi lui permettre de rencontrer des humains, Suka et Oori. C’est en particulier Oori qui va attirer son intérêt, car elle est aussi dépositaire de la mémoire de son peuple, mais parce qu’elle est la dernière des siens. Pour Oori, l’Histoire est donc primordiale. Yetu va finalement se retrouver entre deux mondes et deux conceptions de l’Histoire, qu’elle va devoir concilier pour enfin pouvoir retrouver goût à la vie.

Ca a été une très belle lecture, le genre qui vous fait vous sentir tout petit, mais qui apporte aussi beaucoup à la réflexion personnelle. Le roman est très court mais incroyablement marquant, et je vous le conseille vraiment ! Pour ma part, j’ai hâte de pouvoir lire l’autre roman de Rivers Solomon, L’incivilité des fantômes :3

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