Un peu de poésie épuisée : Lettre d’un soldat

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Bien le samedi bande de poésies, nouveau bonjour et nouveaux gens ^^ J’espère que vous allez bien ? On se retrouve pour un nouveau poème qui m’a tapé dans l’oeil, je gardais celui-ci sous le coude depuis un moment en plus !

Connaissez-vous Sandrine Davin ? C’est une poétesse française née en 1975, et qui a déjà publié 7 recueils ; le dernier, sorti en 2017 porte le titre très intrigant Chut… Sa poésie est très inspirée des tankas, des poèmes japonais qu’on pourrait qualifier d’ancêtres des haïkus, et qui se caractérises par cinq vers où 31 syllabes ou sons sont répartis de cette façon : 5 – 7 – 5 -7 – 7. Je vous recommande ce lien où vous avez plusieurs exemples de ses tankas, et une petite interview qui vous permettra de découvrir un peu mieux le personnage 🙂 Ses poèmes sont étudiés dans les écoles primaires, et elle est diplômée de la Société des Poètes Français pour le poème que je vous présente aujourd’hui ^^ Ce n’est pas un tanka, mais je suis sûre qu’il vous plaira quand même ! Il s’agit d’un poème en vers libres qui date de 2010 et qui s’intitule « Lettre d’un soldat ».

Sur un sol nauséabond
Je t’écris ces quelques mots
Je vais bien, ne t’en fais pas
Il me tarde, le repos.
Le soleil toujours se lève
Mais jamais je ne le vois
Le noir habite mes rêves
Mais je vais bien, ne t’en fais pas…

Les étoiles ne brillent plus
Elles ont filé au coin d’une rue,
Le vent qui était mon ami
Aujourd’hui, je le maudis.

Mais je vais bien, ne t’en fais pas…

Le sang coule sur ma joue
Une larme de nous
Il fait si froid sur ce sol
Je suis seul, je décolle.

Mais je vais bien, ne t’en fais pas…

Mes paupières se font lourdes
Le marchand de sable va passer
Et mes oreilles sont sourdes
Je tire un trait sur le passé.

Mais je vais bien, ne t’en fais pas…

Sur un sol nauséabond
J’ai écrit ces quelques mots
Je sais qu’ils te parviendront
Pour t’annoncer mon repos.

Je suis bien, ne t’en fais pas…

Ce poème m’a beaucoup plu, j’y retrouve les thèmes qui me séduisent dans la poésie. Sandrine Davin indique dans son interview qu’elle s’inspire notamment de Baudelaire et Prévert, et sans être une experte j’ai l’impression que ça se voit dans ces quelques lignes. Pour mon plus grand bonheur, car je suis une grande fan de Baudelaire ❤ Le poème est chantant, à la fois par le jeu des sonorités qui reviennent et la ritournelle du soldat « je vais bien, ne t’en fais pas ». Comme s’il cherchait encore et encore à rassurer la personne aimée, alors que lui-même glisse doucement vers son dernier sommeil. La scène est incroyablement calme et paisible, pas effrayante mais très triste pourtant. Le soldat est déjà loin de la réalité : il ne voit ni n’entend ce qui l’entoure, tout juste peut-il encore sentir l’odeur du sol (il paraît que l’odorat est un des sens les plus forts) et le vent qui sans doute est douloureux sur ses blessures. Ses mots se font de plus en plus rêveurs et lointains : les étoiles, puis lui qui s’envole, et enfin le marchand de sable, pourtant il est toujours allongé sur le sol, son corps est une prison dont il se libère peu à peu. Pour lui, tout est déjà fini, alors ses pensées se tournent vers la seule personne qui compte, et dont on ignore tout, le sang versé devenant les larmes de leur séparation.

Quelle casse-tête pour illustrer ce poème ! J’ai longtemps cherché, et j’ai fini par trouver satisfaction avec ce tableau d’Emile Betsellère, peint en 1873 et appelé L’Oublié. Le titre fait référence à l’histoire du modèle, Théodore Larran. Larran avait été un soldat de la guerre de 1870 : blessé sur le champ de bataille, les ambulances l’oublient et il ne doit son salut qu’à une infirmière qui le sauve in extremis, et qu’il épousera par la suite. Betsellère avait été marqué par cette histoire, lui-même ayant participé à cette guerre et y ayant laissé sa santé au passage. Le tableau m’a frappé pour l’expression du soldat. Il a l’air endormi ou au seuil de la mort, allongé sur le champ de bataille ; pourtant il se redresse comme s’il apercevait une lueur au loin. Est-ce l’infirmière, l’être aimé du poème qu’il aperçoit dans une dernière hallucination ? Ou plus simplement le repos bienvenu de la mort ?

Ce poème va peut-être en évoquer un autre à certain d’entre vous, un poème qu’on étudie encore et encore à l’école : Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud. J’avoue que j’ai souvent du mal avec la poésie de Rimbaud, mais ce poème est particulièrement beau ❤ Je vous le reprend ci-dessous, avec une illustration d’un auteur qui s’appelle GregM (je vous laisse le lien de son site, même si j’ai l’impression qu’il n’est plus actif maintenant) :

C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Une réponse "

  1. Ah tiens, je le connaissais celui-là et quel plaisir de le retrouver sur ton blog ! L’illustration est incroyablement forte et percutante également…

  2. Ouiii il m’a fait directement pensé au Dormeur du Val ! C’est un joli poème, triste mais j’aime bien quand les choses sont dites sans les dire 🙂

  3. Bonjour, je suis Sandrine DAVIN, l’auteure du poème « Lettre d’un soldat ».
    Alors je suis ravie de lire que mon poème vous ai plu et merci de la belle illustration que vous avez pu trouver !
    Au plaisir de vous lire !

    Bien poétiquement,

    Sandrine DAVIN

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