Premières lignes… #131

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Nouveau dimanche, nouvelle découverte ! Je continue le rendez-vous que j’ai trouvé chez Book & share, et inauguré par le blog Ma Lecturothèque 🙂 Le principe de ce post est de prendre un livre chaque semaine pour vous en citer les premières lignes.

La mère de Lucien Minor n’avait pas pleuré, pas même versé une petite larme au moment de leur séparation. Durant toute la journée, le jeune homme avait eu l’impression d’avoir un chat dans la gorge, et il avait accompli chacun de ses gestes avec une précaution extrême, comme craignant de se mouvoir trop rapidement au risque de déclencher en lui une vague d’émotion. Ils avaient petit-déjeuné et déjeuné ensemble sans échanger un seul mot, et maintenant c’était l’heure pour lui de partir mais il ne parvenait pas à quitter son lit, sur lequel il était étendu tout habillé, avec ses bottes et son manteau, son chapeau en peau de mouton enfoncé jusqu’aux sourcils. Lucy avait dix-sept ans, et cette chambre était la sienne depuis sa naissance ; tout ce qu’il pouvait voir et toucher était imprégné de douloureux souvenirs d’enfance. Lorsqu’il entendit sa mère se poser d’inintelligible questions dans la cuisine au rez-de-chaussée, il fut presque submergé de chagrin. Une valise trônait, fringante, sur le sol près de lui.
Il se redressa, se leva, et tapa trois fois du pied par terre : pam, pam, pam ! Il s’empara de la poignée en cuir de sa valise, descendit l’escalier et sortit. Une fois au pied du perron de leur modeste maison, il appela sa mère. Celle-ci apparut sur le seuil de la porte, plissant les yeux et frappant dans les mains pour se débarrasser de la farine qui lui collait aux doigts et aux paumes.
« C’est l’heure ?’ demanda-t-elle. Lorsqu’il hocha la tête, elle ajouta : « Bon, viens ici, alors. »
Il grimpa pour rejoindre les cinq marches qui grincèrent sous ses pas. Elle l’embrassa sur la joue avant de se détourner vers la prairie, scrutant les nuages menaçants amoncelés derrière les montagnes cernant leur village. Lorsqu’elle le regarda à nouveau, son expression était vide. « Bonne chance, Lucy. J’espère que tu te montreras digne de ce baron. Tu me diras comment ça se passe pour toi, d’accord ?
– Oui.
– Très bien. Au revoir. »
Elle fit volte-face, les yeux rivés au sol, et ferma la porte – une porte bleue. Lucy se souvenait du jour où son père l’avait peinte, dix ans plus tôt. Il était assis sous le prunier anémique à observer l’activité mystérieuse d’une fourmilière lorsque son père l’avait appelé pour lui montrer le pinceau dont les poils formaient une corne : « Une porte bleu mélancolique pour un garçon mélancolique. »

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